lundi 21 avril 2014

La place du Brésil dans le monde


Voici un devoir (cartes + commentaire) que j'ai réalisé dans le cadre d'un cours sur les pays émergents au semestre dernier. Je me permets d'en publier une version légèrement remaniée ici en raison du caractère géopolitique du sujet - La place du Brésil dans le monde - et de la note obtenue (20/20).

Carte 1 : planisphère

Carte 2 : zoom sur l'Amérique du sud
Légende

Commentaire

Gigante pela própria natureza, [Géant par ta propre nature,]
És belo, és forte, impávido colosso, [Tu es beau, tu es fort, intrépide colosse,]
E o teu futuro espelha essa grandeza  [Et ton avenir reflète cette grandeur]
- Hino Nacional Brasileiro – Hymne national du Brésil –  Joaquim Osório Duque Estrada, 1909

Avec ses 200 millions d’habitants et sa superficie de plus de 8 500 000 km², le Brésil, dont la capitale fédérale est Brasilia, est le pays le plus vaste et le plus peuplé du continent sud-américain ; partageant une frontière avec l’Uruguay, l’Argentine, le Paraguay au sud, la Bolivie, le Pérou, la Colombie à l’ouest, ainsi que le Venezuela, le Guyana, le Suriname et la Guyane française au nord. Le Brésil fait partie depuis 2001 du groupe des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine ; auxquels on rajoute depuis quelques années l’Afrique du sud), un terme employé pour la première fois dans une note de Jim O'Neill, économiste de la banque d'investissement Goldman Sachs, désignant «des pays à forte croissance, dont, au début du XXIe siècle, le poids dans l’économie mondiale augmente ». Le Brésil ferait donc partie du groupe des pays dits « émergents », dont le poids économique (mesuré par le PIB par habitant et la croissance économique) se situerait entre les pays « peu développés » du sud, et les « pays développés » du nord. Dans quelle mesure ce nouveau statut du Brésil modifie-t-il durablement sa politique étrangère ? Nous verrons dans un premier temps comment l’ « intrépide colosse » est passé de l’essor économique à la « fin de l’émergence » ; puis que cette nouvelle donne économique a donné lieu à un activisme diplomatique accru, enfin nous analyserons l’opposition réelle opérée par le Brésil vis-à-vis de l’influence (ou « impérialisme ») des Etats-Unis et du nord en général.

De l'essor économique à la fin de l'émergence

Elu à la présidence du pays en 1994, Fernando Henrique Cardoso, influencé par les exemples mexicain et en argentin, place l’ouverture aux investissements directs à l’étranger (IDE)  au cœur de sa stratégie politique.  D’après Renaud Lambert dans « Le Monde diplomatique », «  il ne s’agit plus de promouvoir un « développement autonome » en « substituant » les productions aux importations mais, au contraire, de faciliter ces dernières pour qu’elles revigorent la compétition et éperonnent la productivité. M. Cardoso s’emploie donc à adapter le Brésil au goût des investisseurs. Les barrières tarifaires sont élaguées, les contrôles de change châtrés, la Constitution revue pour rendre possible un ambitieux programme de privatisations (pour un total d’environ 90 milliards de dollars en deux mandats » . Cette ouverture à marche forcée provoque une véritable « dénationalisation » de l’économie du pays, au point que le magazine brésilien « Veja », pourtant d’opinion libérale, constate que « l’histoire du capitalisme a rarement vu un transfert de contrôle aussi intense, sur une période de temps aussi courte » . Le pays de désindustrialise, le chômage double, la balance commerciale devient largement négative pour la première fois depuis 1980, la dette augmente de 900 %... Le pays devient aussi dépendant aux capitaux extérieurs qu’un financier crapuleux amateur de « pyramides de Ponzi » l’est vis-à-vis de sa recherche de nouveaux créanciers pour combler ses anciennes dettes, à l’instar de M. Madoff. « A ceci près que M. Madoff, lui, n’avait escroqué que des riches. Le gouvernement brésilien n’a pas cette classe : la facture sera réglée par la population, notamment à travers des taux d’intérêt stratosphériques et la politique d’austérité budgétaire qu’ils imposent », ajoute Renaud Lambert.

Cette stratégie s’inscrit dans la droite ligne de l’émergence au sens « néolibéral » du terme, c'est-à-dire l’« offre d’opportunités pour les investisseurs », d’après A. van Agtmael. Dans ce sens, l’indépendance du pays dit « émergent » n’entre pas en ligne de compte, sous-entendant une dépendance au capitalisme mondial où les bénéfices viennent du maintien dans la pauvreté d’une partie de la population et de l’apparition d’une classe bourgeoise qui fluidifie les échanges et apporte plus de sécurité à l’investissement étranger. L’émergence peut donc être vue comme une nouvelle forme de colonisation, et pas seulement comme un « progrès » dans le cadre d’un « sens de l’histoire » via le développement.

Lorsque l’ex-syndicaliste Luiz Inácio Lula da Silva est élu à la présidence du pays en 2002, les milieux économiques sont fébriles : « Les investisseurs étrangers s’étaient toujours demandés comment se comporterait le Brésil sous un président ayant ce profil de gauche », se souvient M. Emílio Odebrecht, héritier de l’empire industriel brésilien du même nom. Finalement, assure l’homme d’affaire, son élection « fut la meilleure chose qui pouvait arriver à notre pays  ». En effet, le président Lula rompu avec les erreurs les plus visibles de l’ère Cardoso, en mettant en place des programmes sociaux importants (hausse du salaire minimum, bourses familiales…), tout en stimulant les affaires des entreprises privées étrangères et nationales. «Un petit pas chaque jour plutôt qu’un grand saut », devise de L. I. Lula.

Le Brésil est aujourd’hui la 7e puissance économique mondiale, membre du G20, un pays industrialisé, sorti de l’exploitation et de l’exportation de matières premières brutes qui importe de plus en plus pour son marché de consommation grandissant. Le pays est intégré au réseau d’échanges commerciaux maritimes (plus de 80 % du commerce mondial). De plus, entre 2002 et 2006, le taux de pauvreté est passé de 27 à 19 %.

Principalement depuis l’accession au pouvoir de Dilma Roussef (ex-numéro 2 du président Lula), un certain nombre d’indicateurs tendent à montrer que le Brésil n’est plus un pays émergent. En effet, le Brésil a achevé sa transition démographique, son taux de fécondité est stabilisé entre 1,90 et 2,10 enfant par femme en 2010, soit le même taux que la France, la Norvège, ou encore l’Australie . La croissance du pays, après avoir atteint des sommets en 2010 (7,5 %), est deux ans plus tard presque atone (0,9 %) . Ce taux de croissance rapproche le Brésil des « pays développés », frappés par la crise, et l’éloigne des autres pays des BRIC (7,8 % en Chine, 4 % en Inde, 3,4 % en Russie). Le Brésil bénéficie de la présence à ses frontières du Paraguay et de la Bolivie, un « tiers monde sud-américain » qui lui fournit une main d’œuvre peu onéreuse. De plus, « les gisements de pétrole découverts hisseront le Brésil parmi les cinq premiers producteurs d’or noir au monde » . Ces cinq à huit milliards de barils de pétrole exploitable étant situés au large des côtes brésiliennes, profondément enfouis sous une importante masse d’eau et de sel, ces opérations pétrolières sont une occasion pour le pays d’afficher sa technologie nationale de pointe. Des investissements d’une ampleur inédite dans l’énergie confortent le Brésil dans son émergence révolue : « en 2010, la compagnie semi-publique Petrobras, fondée en 1953 par l’Etat dans le but de gérer l’ensemble des activités pétrolières, a procédé à une levée de fonds d’un montant de 70 milliards de dollars […]. Cette opération, la plus importante augmentation de capital jamais réalisée dans l’histoire de l’économie moderne, est destinée à financer un programme d’investissement hors du commun estimé à près de 230 milliards de dollars, entre 2011 et 2015. Plus que le budget utilisé par la NASA dans les années 1960 pour les missions Apollo, dont le but était d’envoyer un homme sur la lune… » . Enfin, le Brésil est un membre fondateur du Marché commun du Sud (Mercosur) et de l’Union des nations sud-américaines (UNSASUR), deux organisations intergouvernementale importantes en Amérique du sud et à l’échelle mondiale.

Un dernier élément souvent oublié, et pourtant central, de la puissance brésilienne achevée réside dans son appartenance au groupe des « Etats du seuil », se définissant « par la capacité de développer, s’ils le souhaitent et en cas d’effondrement des contraintes juridiques internationales, l’arme nucléaire dans des délais relativement brefs » . Se doter de l’arme nucléaire requiert en effet des moyens économiques et industriels conséquents, ainsi qu’un savoir-faire scientifique de pointe. Le refus, jusqu’à présent, du Brésil d’en faire l’acquisition n’est aucunement d’ordre technique, mais bien d’ordre politique. Il est évident que le jour où le besoin s’en fera sentir, le pays n’aura aucune difficulté à accéder au club jusqu’à présent très fermé des puissances nucléaires. Les « Etats du seuil » regroupent l’Allemagne, la Suisse, la Suède, le Japon, la Corée du sud, l’Australie et le Canada, tous des pays dits « développés », auxquels s’ajoutent l’Afrique du sud, l’Argentine et le Brésil, ce qui leur donne un statut tout à fait particulier.  La question nucléaire est ici un facteur de rapprochement diplomatique non négligeable avec l’Argentine, voisin et rival historique du Brésil, dans le cadre d’un accord signé le 6 septembre 2008 à Recife au Brésil .

Un activisme diplomatique accru

Cette nouvelle donne économique du Brésil est le moteur d’une dynamique nouvelle dans la politique étrangère du pays.

En 2011, le Brésil fait partie des dix premières puissances diplomatiques, avec un effectif du corps diplomatique de 4150 personnes, devant l’Inde (3414 personnes) . L’Organisation des Nations unies (ONU), dont le Brésil est un membre fondateur, est le cadre privilégié par les gouvernements successifs de L. I. Lula puis de D. Roussef, où ils font tous deux preuve d’un activisme important, notamment au sujet de l’élargissement du Conseil permanent de sécurité de l’ONU (l’organe décisionnel le plus important de l’institution, dont la composition date de la fin de la Deuxième guerre mondiale), ainsi qu’à un siège en son sein. Le Brésil n’hésite pas à participer aux opérations des casques bleus de l’ONU en 1999 au Timor oriental, puis à Haïti après le tremblement de terre de janvier 2010. Dans le cadre de sa diplomatie, le Brésil (soutenu par la Turquie, autre « pays émergent » ambitieux) se pose aussi en médiateur en proposant un plan de sortie de la crise du nucléaire iranien ; subtil dosage de réalisme, pour contourner les sanctions, et d’injonctions, pour permettre des échanges d’uranium enrichi à des fins civiles. La médiation du Brésil suite au coup d’Etat à São Tomé-Et-Principe en 2003 « et son rôle joué depuis 2007 auprès de la Commission pour la consolidation de la paix de l’ONU pour résorber la crise politique qui frappe la Guinée-Bissau »  sont salués et participent au rayonnement diplomatique du pays.

Le poids démographique des citoyens brésiliens d’origine étrangère n’est pas négligeable, et est à prendre en compte dans l’analyse de la diplomatie brésilienne. En effet,  25 millions de brésiliens sont d’origine italienne (soit 15 % de la population), 5 à 18 millions d’origine allemande, 6 millions d’origine libanaise, ou encore 1,6 millions d’origine japonaise. 

Longtemps créancier du Fonds monétaire international (FMI), le Brésil a aujourd’hui remboursé sa dette et, revanche diplomatique et symbolique oblige, lui prête même aujourd’hui des capitaux. De plus, le pays participe activement au calendrier de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), parvenant même à imposer la candidature du brésilien Roberto Azevêdo à sa tête. Autre revanche diplomatique et symbolique de taille, le Brésil a proposé en 2011 de participer au sauvetage financier d’un membre de la zone euro : la Grèce .

Le Brésil mise sur son « hard power », c'est-à-dire sur sa capacité à compter au niveau international du point de vue militaire. Cette stratégie est particulièrement visible dans le cadre du plan « Amazonie bleue », le long des 4 500 000 km² d’étendue océanique revendiquée par le pays : achat de quatre sous-marins (6,7 milliards d’euros) qui s’ajouteront aux cinq déjà en service, achat de 18 frégates (500 millions d’euros l’unité), 62 patrouilleurs côtiers, 288 aéronefs, construction d’un complexe regroupant une base et un chantier naval, acquisition du savoir-faire nécessaire à la construction d’un  sous-marin nucléaire d'attaque (SNA, rejoignant potentiellement le club très fermé des 6 Etats qui en possèdent), ainsi qu’une hausse de 36 % des effectifs de la Marine brésilienne, principalement sur le littoral du Nordeste . Ces ambitions sont explicables en prenant en compte une volonté de sécuriser les énormes gisements d’hydrocarbures présents au large du Brésil qui lui assurent depuis peu son indépendance énergétique, ainsi que le commerce maritime, qui représente 95 % du commerce du pays.

Le Brésil mise en outre sur son « soft power », ou sa capacité d’influence internationale par la langue, la religion, la culture, ou tout autre moyen non coercitif. L’exemple le plus évident de cette stratégie est l’obtention de l’organisation de la Coupe du monde de football en 2014, puis des Jeux olympiques en 2016, qui donnera un rayonnement mondial au pays… pendant quelques semaines. L’organisation d’ « os eventos » a des conséquences sur la prostitution, un autre élément souvent ignoré du rayonnement du Brésil, où l’on voit les prostituées des villes concernées prendre massivement des cours d’anglais, « pour mieux satisfaire les touristes étrangers » . La diffusion progressive des programmes de « telenovelas » (série brésilienne dont l’histoire se déroule au Brésil et est globalement fidèle aux évolutions de la société) à l’étranger contribue aussi en partie à l’idée du Brésil que se font leurs amateurs internationaux . La « défense de la biodiversité » est un thème très porteur de la stratégie de rayonnement du pays. Le Brésil apparaît en effet parmi les premiers pays au classement par superficie des espaces protégés terrestres et marins en 2010, avec entre 26 et 39 % de son territoire concerné , et l’image de l’Amazonie comme « poumon vert de la planète » est toujours très répandue. Cette image, entretenue par les gouvernements brésiliens successifs (via des programmes de plantation massive d’eucalyptus pourtant stériles et coupés après coup pour le bois de chauffe), ne prend guère en compte la déforestation massive le long du front pionnier, ainsi que la « diagonale de l’homicide » qu’elle sous-tend par sa violence vis-à-vis des populations indigènes. Cette violence est symbolisée par le barrage de Belo Monte sur le Rio Xinger, qui a nécessité la destruction d’un écosystème unique et obligé le déplacement forcé de 25 000 indigènes. On peut enfin noter un rapprochement du Brésil avec la communauté lusophone africaine (Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Mozambique, Sao Tomé-et-Principe), favorisé par la montée en puissance des réseaux pentecôtistes brésiliens et sud-américains. L’image la plus frappante de l’implication du gouvernement brésilien dans cette stratégie est celle de l’ancien président, L. I. Lula da Silva, « et le fondateur de l’Eglise universelle du royaume de Dieu, Edir Macedo, [présent] à la cérémonie d’inauguration de la chaîne d’informations Record News, en septembre 2007 à Rio de Janeiro » .

Une opposition à l'influence des Etats-Unis

Ce déploiement diplomatique global du Brésil  s’accompagne d’une opposition réelle vis-à-vis de l’influence (ou « impérialisme ») des Etats-Unis et du nord en général.

« Le rêve d’un autre monde est possible », Luiz Inácio Lula da Silva, ex-président du Brésil.

Avec un certain nombre de victoires électorales importantes en Amérique du sud dans les années 2000 (H. Chavez au Venezuela, L. I. Lula puis D. Roussef au Brésil, R. Correra en Equateur, E. Morales en Bolivie, M. Bachelet au Chili, J. Mujica en Uruguay, F. Lugo au Paraguay ou, dans une moindre mesure, les Kirchner en Argentine), les « gauches » sud-américaines dominent politiquement le continent. Ces mouvements politiques, généralement très critiques vis-à-vis de l’ingérence états-unienne en Amérique du sud, a entraîné un profond changement dans la diplomatie du continent. Au Mercosur, s’est superposé l’Union des nations sud-américaines (UNASUR). Cette institution supranationale regroupe les deux unions douanières de l’Amérique du sud (Mercosur et Communauté andine), formant pour la première fois de son histoire un véritable bloc sud-américain indépendant (à l’exception de la Guyane française), pouvant rivaliser avec l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Outre son aspect économique évident, l’UNASUR a aussi pour objectif une coopération accrue en matière de défense, ce qui donne une influence particulière au Brésil, membre fondateur et membre du conseil de sécurité de la région. « Sans faire la rupture, le Brésil a su tenir à distance les États-Unis, faire échouer aussi bien la Zlea en 2005 que l’installation du dollar comme monnaie commune du Mercosur, animer le Forum social de Porto Alegre en 2002. « C’est la réalisation la plus extraordinaire de la société civile. Le Brésil en sera le porte-parole. Nous ferons du XXIe siècle le siècle du Brésil. » (L. I. Lula) » . Le Brésil est en effet un pilier de cette opposition aux Etats-Unis et au « nord », en témoignent son refus des subventions agricoles des États-Unis comme de l’Union européenne, la promotion des revendications contre le monopole des pays industrialisés du nord, son investissement dans des brevets pharmaceutiques vitaux pour les pays en voie de développement (PED), sa critique du fonctionnement interne du FMI (la Belgique ayant le même nombre de voix que le Brésil et ses 200 millions d’habitants) ou encore sa positions très critiques vis-à-vis des responsabilités américaines dans la crise des « subprimes ».

Ce volontarisme auprès des PED induit un autre aspect de la politique extérieure du Brésil : la promotion d’une autre mondialisation : « Le Brésil, qui se pense comme périphérie d’un système international inégalitaire et de nature hégémonique, a d’ailleurs relancé la coopération Sud-Sud » . Le Brésil anime par exemple un G3 avec l’Afrique du Sud et l’Inde qui parvient à aller au-delà d’un simple discours fédérateur (échanges commerciaux, positions sur le nucléaire civil, partenariats technologiques, etc.) ». Le déploiement diplomatique du pays vers l’Afrique (L. I. Lula aimait à rappeler que le Brésil est « le deuxième pays noir » au monde, derrière le Nigéria), et plus particulièrement vers les pays lusophones, témoigne de ce centrage vers les PED.

L’énorme déploiement armé du Brésil dans l’Atlantique sud dans le cadre du plan « Amazonie bleue » peut aussi se comprendre par la réactivation de la IVe flotte de l’US Navy en juillet 2008 dans cette même région (alors que celle-ci avait été dissoute en 1948), justifié par la « lutte contre les trafics illicites et l’aide humanitaire » . La méfiance des pays sud-américains face aux possibles tentatives d’ingérence des Etats-Unis (qui plus est dans une région riche en hydrocarbures) est particulièrement palpable.

Cette opposition réelle à la politique étrangère des Etats-Unis, et des « pays occidentaux » du nord, prend d’autres formes, comme la reconnaissance de la Palestine (non reconnue par Israël, dont les Etats-Unis sont un allié inconditionnel), visites du chef de l’Etat iranien (pays aux relations particulièrement tendues avec les Etats-Unis depuis la Révolution islamique de 1979), ou encore défense des gouvernements cubain et vénézuélien face aux critiques et tentatives d’ingérence des Etats-Unis . L’une des clés de compréhension de cette stratégie du Brésil, est sa relative indépendance commerciale vis-à-vis des Etats-Unis. En effet, les  échanges du Brésil avec l’extérieur se font majoritairement avec les pays d’Amérique du sud (26 %), puis avec ceux de l’Union Européenne (23 %), les pays asiatiques (19 %) et enfin avec l’Amérique du nord (14 %). Une mesure économique de représailles des Etats-Unis contre le Brésil, tel qu’un blocus ou un embargo unilatéral, n’aurait donc qu’un impact limité.

Au sein du continent Américain, le Brésil cherche à cacher ses ambitions régionales sous ses velléités de puissance mondiale. En multipliant les projets bilatéraux, le Brésil court-circuite progressivement le Mercosur, symbole de la paix avec le rival historique argentin. Les grandes multinationales brésiliennes sont sujet à de vives tensions internationales depuis que la Bolivie a décidé de nationaliser son secteur gazier (où la société Petrobras avait beaucoup investit) et que l’Equateur accuse la société Oderbrecht de corruption ; ce qui souligne que la domination économique du Brésil sur le continent sud-américain n’est pas aussi bien acceptée que ce que Brasilia affiche. Enfin le Brésil privilégie fortement le développement de l’Unasur au détriment de la Communauté d'Etats latino-américains et caraïbes (CELAC), car cette dernière introduit la Mexique comme concurrent à la domination régionale de l’Amérique du sud, ce qui est contraire à ses intérêts à long terme .

Ainsi nous avons vu dans un premier temps que l’« intrépide colosse » est passé de l’essor économique à la fin de son émergence ; puis que cette nouvelle donne économique a donné lieu à un activisme diplomatique accru notamment sous l’ère L. I. Lula, et à une opposition réelle vis-à-vis de l’influence (ou « impérialisme ») des Etats-Unis et du nord en général. Le Brésil, fidèle à son stéréotype d’optimisme, entend peser de plus en plus au niveau mondial, principalement par le biais de l’ONU, où il est un « élève modèle ». Ce statut ne l’empêche pas de remettre en cause les méthodes du nord et de proposer une mondialisation se revendiquant plus juste. Dans un contexte d’effondrement de la politique étrangère états-unienne, D. Roussef tranche avec le style temporisateur de son prédécesseur. Il est d’ailleurs intéressant de lier cette absence de complexe dans l’opposition aux Etats-Unis au passé de « terroriste » de l’actuelle présidente aux yeux de ces derniers (un terrorisme dirigé contre la junte militaire soutenue par les Etats-Unis). Si des difficultés économiques et politiques assaillent le pays depuis peu , le Brésil entend continuer sa stratégie et assurer un leadership mondial et régional qui serve ses intérêts, sans pour autant être perçu comme une menace impérialiste par ses voisins.

Jérémie Fabre

Sources utilisées :

• Hervé Théry et Neli Aparecida de Mello, Atlas du Brésil, La Documentation française, 2004.

• Jim O'Neill, Building Better Global Economic BRICs. Goldman Sachs, 30th November 2001. Global Economics. Paper No: 66.

• Renaud Lambert, « Le Brésil, ce géant entravé », Le Monde diplomatique, juin 2009.

• Geisa Maria Rocha, «  Neo-dependency in Brazil  », New Left Review, n° 16, Londres, juillet-août 2002.

• Folha de São Paulo, 27 janvier 2008.

• Philippe Rekacewicz, « Croissance et décroissance, Une planète trop peuplée ? », Le Monde diplomatique, juin 2011.

• Instituto Brasileiro de Geografia e Estatistica, In 2012, GDP grows 0.9% and reaches R$ 4.403 trillion, Social Communication, March 01, 2013.

• « Le colosse brésilien s’impose en douceur », Le Monde, Bilan géostratégie, édition 2013.

• Colomban Lebas, « Considérations sur le « seuil » nucléaire », Diplomatie, Les grands dossiers : Géopolitique du nucléaire, octobre-novembre 2013.

• Gerardo Honty, « L’accord nucléaire Argentine-Brésil : énergie ou géopolitique ? », mondialisation.ca, septembre 2008.

• Daniel Vernet, « La diplomatie ne connaît pas le « changement » », Alternatives internationales, Hors-série n°12, 2013, l’état de la mondialisation, janvier 2013.

• Elodie Brun, « Le Brésil ratisse sa toile en Afrique », op. cit.

• Anne Denis, « Le Brésil, bouée de sauvetage de l'Europe », Slate.fr, septembre 2011.

• Guillaume Chopin, « Les ambitions de la Marine brésilienne », Revue défense nationale, mars 2011.

• Claire Maupas, « Mondial 2014 : cours d'anglais gratis pour les prostituées », Courrier International, janvier 2013.

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• Jesus Garcia-Ruiz et Patrick Michel, « Le néo-pentecôtisme comme vecteur de la mondialisation : le cas de l’Amérique latine », Diplomatie, Hors-série n°16 – Géopolitique des religions, août septembre 2013.

• Alain Nonjon, « Brésil : nouvel acteur global », Espace prépas, n°136,  mars-avril 2011.

• Clifford Sobel, « El senado Brasileño rechaza la reactivacion de la IV Flota Naval de EEUU », El Pais, août 2009.

• Eric Dubesset, « Réformes à Cuba : la persistance dans le changement », Diplomatie n°64, septembre-octobre 2013.

• Pedro Seabra, « Le Brésil veut grandir, mais discrètement », Alternatives internationales n°58, mars 2013.

• Hervé Théry, « Les manifestations de juin 2013 au Brésil », Diplomatie, n° 65 (novembre - décembre 2013).

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