jeudi 15 mai 2014

Poutine, ennemi n°1 aux Etats-Unis

Cet article consiste principalement en une reprise d'un article publié sous le titre « ‘Radioactive’ Putin Is ‘Stalin’s Spawn’ » (par Peter Hart) dans le magazine Extra! de l'organisation Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR), équivalent américain de l'association de critique des médias Acrimed. Je ne saurais trop conseiller la lecture de leur travail, et tout soutien à leur apporter (l'import fonctionne très bien).

Depuis le début de la crise ukrainienne, si la couverture médiatique française des événements s'est révélée loin d'être parfaite, celle des médias américains relève manifestement du gag bien gras. On apprend ainsi sur Fox News (Bill O'Reilly, 3/3/14) que l'annexion de la Crimée par la Fédération de Russie relève d'une « stratégie hitlérienne », tandis que le Washington Post (George Will, 17/3/14) agite un « retour de Staline ».

Sans aller jusqu'à de telles extrémités, l'émission World News (7/3/14) de la chaîne ABC s'est livré à une étrange étude :
Jonathan Karl a décrit une « étude du Pentagone essayant de lire le langage corporel de Poutine », qui apparemment suggérait que « son style de marche peut donner un aperçu de la façon dont il fonctionne. » Cette étude, rapporte Karl, a trouvé que « le style de mouvement de Poutine montre un homme contraint d'avancer tout droit »... Une faiblesse qu'il compense « par un besoin considérable de contrôle extérieur, qu'il cherche par un affichage de puissance. »
Un diagnostic qui rappelle fortement certaines expériences tout aussi distrayantes en France.

L'article d'Extra! pointe cinq dysfonctionnements majeurs dans la couverture médiatique américaine de la crise ukrainienne.

Un « match » entre Obama et Poutine

Dans cet article, Peter Hart montre que les enjeux de la crise ukrainienne sont systématiquement ramenés à un duel entre Barack Obama et Vladimir Poutine :

« Entre les deux superpuissances, le match commence (...) Le président Obama et le président Russe Vladimir Poutine sont coincés dans une sorte de duel. »
- Diane Sawyer, ABC World News (17/3/14).

« Rarement une menace d'un président des Etats-Unis a été outrepassée aussi rapidement - et aussi impunément - que l'avertissement d'Obama au président Russe Vladimir Poutine vendredi soir. » En réponse à « cet acte clair d'agression armée au coeur de l'Europe (...) Obama doit montrer que cela ne se fera pas sans conséquence. »
- The Washington Post (1/3/14)

« C'est le prestige des Etats-Unis qui est en jeu (...) Pourquoi est-ce que la Russie semble ignorer ces avertissements de l'administration ? »
- David Gregory, NBC Nightly News (1/3/14).

« La question, c'est le leadership d'Obama, tout simplement. C'est un test majeur pour le reste du monde, surtout pour ses mauvais acteurs, prenez le au sérieux lorsqu'il dit de ne pas faire quelque chose. »
- David Gregory, NBC Nightly News (2/3/14).

« Ce n'est pas la première fois avec Poutine. Poutine agit, Obama avertit. Poutine agit, Obama avertit. C'est une position qu'il ne peut assumer plus longtemps, il ne peut plus se contenter d'avertir. »
- Chuck Todd, NBC Nightly News (2/3/14). 

« L'occupation russe de la Criméee défie M. Obama plus que toute autre crise internationale. »
Peter Baker, The New York Times, (2/3/14).

« Mais qu'est-ce que les Etats-Unis attendent pour reprendre la main sur cette confrontation avec Vladimir Poutine ? »
- David Gregory Meet the Press (23/3/14).

En résulte personnalisation (Obama vs. Poutine), dépolitisation (un problème de personnalité et non de politique) et donc simplification à outrance des enjeux.

Poutine est fou

Non seulement Poutine a l'outrecuidance d'ignorer les exigences d'Obama, mais il semble tout simplement vivre dans un autre monde : 

« La Chancelière Angela Merkel a affirmé dimanche au téléphone à M. Obama qu'après avoir discuté avec M. Poutine, elle n'était plus certaine qu'il soit conscient des réalités, d'après des sources au courant de cet appel. "Dans un autre monde", c'est ce qu'elle a dit. »
- Peter Baker, The New York Times, (2/3/14).

Cette idée a ensuite été reprise un peu partout, du Time (4/3/14) à CNN (3/3/14), en passant par The Washington Post (4/3/14) et The New Republic (4/3/14), ignorant notamment les dénégations du gouvernement allemand. Mark Seibel, de McClatchy (5/3/14) a noté à ce sujet que « dans le milieu de la propagande, décrire avec succès votre adversaire comme un fou, dépourvu de la moindre rationalité dans ses actions, rend toute tentative de compréhension de la complexité et de l'importance des enjeux parfaitement inutile. » Propagande, le mot est lâché.

Poutine n'a pas d'arguments

D'après The New York Times (4/3/14), lors de sa conférence de presse du 3 mars à propos de la crise ukrainienne, Vladimir Poutine a « présenté une version des événements qui était fondamentalement en contradiction avec l'opinion de la plupart des responsables des Etats-Unis, d'Europe et d'Ukraine. » Quelle était donc cette version des faits si improbable ? Il s'agissait d'une dénonciation des « doubles standards qui justifient les opérations militaires des Etats-Unis ou de l'OTAN au nom des droits de l'homme ou de la démocratie, sans tenir compte des préoccupations russes », mentionnant par exemple les attaques américaines contre l'Irak, l'Afghanistan et la Libye. Il s'agit donc d'un argument de type « vous le faites aussi », qui, s'il ne justifie pas les pressions russes en Ukraine, est loin d'être délirant (comme évoqué dans un article précédent).

Peter Hart note qu'il aurait tout aussi bien pu rappeler l'invasion de Grenade décidée par Ronald Reagan en 1983, présentée comme une mission visant à protéger un petit nombre d'étudiants Américains. Cette invasion causa la mort d'une centaine de personnes et fut condamnée par les Nations unies, qui n'avaient d'ailleurs pas été consultées. Autres exemple intéressants : le détachement de Panama de la Colombie par les Etats-Unis en 1903, puis son l'invasion décidée par George H. W. Bush en 1991 dont la justification officielle, tout aussi fragile, était de protéger des citoyens américains. Ces arguments des autorités américaines font étrangement écho aujourd'hui aux arguments russes, lorsqu'ils affirment vouloir « protéger les populations russophones d'Ukraine ».

L'amnésie sélective semble être de mise outre-Atlantique, puisque le Secrétaire d'Etat John Kerry lui même a déclaré le 3 mars 2014 qu' « on n'envahit pas un autre pays sous un prétexte bidon afin de faire valoir ses intérêts. » Ce à quoi Fred Hiatt du Washington Post (23/3/14) a répondu que « Poutine a monté la plus évidente des violations de la souveraineté d'un Etat depuis que Saddam Hussein a envahi le Koweit en 1990 » ; ce qui, pour un journaliste favorable à la guerre en Irak en 2003 et colporteur des mensonges américains pour la justifier, ne manque pas sel.

Le New York Time (6/3/14) se permet même un peu de dérision en évoquant les médias russes : « Les descriptions macabres et détaillées des interventions passées des Etats-Unis (...) sont devenues un thème récurrent dans les reportages russes sur l'Ukraine et sa péninsule russophone de Crimée » Comme le remarque ironiquement Peter Hart, « leur propagande peut être si maladroite... »


Du bon usage de la falsification

Pour une bonne partie des médias américains (et des politiciens tels que John McCain), Poutine, dans sa folie, cherche a recréer la défunte URSS. Comme le remarque Politifact (6/3/14), la grande majorité des experts de la Russie n'y croient pas une seconde. Mais pour appuyer malgré tout cette théorie, la plupart des médias américains fait référence à une phrase de Poutine datant de 2005.

« Voila à quoi ressemblait son pays alors, un vrai géant. Et c'est ainsi qu'il a rétréci lorsque l'Union soviétique s'est effondrée, ce que Poutine a appelé "la plus grande catastrophe du siècle". Sa vision du monde est marquée par la perte d'un empire. »
Terry Moran, d'ABC World News (4/3/14).

Poutine cherche « la restauration de la Russie après une période d'humiliation suite à l'effondrement soviétique, qu'il a nommé de cette manière restée célèbre : "la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle". »
- The New York Times, (18/3/14).

Cependant, dans sa traduction officielle, la remarque de Poutine est différente, puisqu'il déclarait que la chute de l'URSS  était « une grande catastrophe géopolitique du siècle », s'appuyant sur la pauvreté de masse ou la profonde crise économique qui a suivi cette chute en Russie. Comme le remarque Peter Hart, la différence de traduction entre « une » et « la »  est à peu près aussi significative qu'entre « vraiment pas bien » et « pire qu'Hitler ».

Il est amusant de constater que cette falsification n'est pas une exclusivité américaine, puisqu'on la retrouve dans Le Figaro, Le Monde, Le Point, L'Express, ou encore dans Le Parisien.

« Liberté occidentale » vs. « Poutine et tout ce qu'il représente »

Comme souvent en France, les manifestations contre le président Viktor Ianoukovytch étaient présentées aux Etats-Unis comme le choix de tout un pays entre une Europe moderne et progressiste, et la Russie répressive de Poutine.

Il s'agit d'un « duel entre manifestants demandant la liberté occidentale et la police faisant appliquer l'alliance avec le président de la Russie Vladimir Poutine et tout ce qu'il représente. »
- Diane Sawyer, ABC (20/2/14).

« Cette brute de Vladimir Poutine... Il utilise la force. C'est comme ça qu'il fonctionne. »
- ABC, Martha Raddatz (4/3/14).

Il est « mû par des pulsions nationalistes et des griefs historiques dont on connaît l'incompatibilité aux méthodes modernes de la diplomatie. »
The Washington Post (23/3/14).

« Cet individu radioactif qui veut créer l'histoire : un puissant ego, et un puissant nationalisme russe. »
- David Brooks (du New York Times) à Meet the Press, 23/3/14.

En réalité, il s'agit seulement de rappeler que Ianoukovytch (qui était indubitablement corrompu) aurait obtenu de meilleures garanties économiques de la Russie que de l'Union européenne. Il s'agit aussi de rappeler - fait systématiquement minimisé, voir ignoré - que l'extrême droite sympathisante nazie a été indéniablement un des piliers de la coalition ayant renversé Ianoukovytch, et fait partie du nouveau gouvernement. Il s'agit enfin de rappeler qu'un référendum sur l'appartenance à la Russie a déjà eu lieu en Crimée, en 1991, aboutissant au même résultat écrasant aujourd'hui dénoncé par les médias et les politiciens occidentaux comme une « formalité administrative » frauduleuse (Gary Brecher, Pando, 17/3/14).

Et Peter Hart de conclure :
Un éditorial du Washington Post (4/3/14) s'inquiétait que Poutine « puisse réellement croire sa propre propagande. » C'est possible. Mais il y a peu de doute que les politiciens - et l'élite médiatique - américaine croit à la sienne.
Jérémie Fabre

Sources utilisées :

• Peter Hart, « ‘Radioactive’ Putin Is ‘Stalin’s Spawn’ » Extra!, vol. 27, n°5, mai 2014. L'article est accompagné d'un petit texte assez jouissif sur les considérations des médiacrates américains quant aux bénéfices gaziers que pourraient engranger les Etats-Unis en utilisant la crise ukrainienne. On peut notamment y lire qu' « il y a une solution évidente qui coïncide avec les intérêts des Etats-Unis - et bien sûr du reste du monde aussi. Cette solution passe par la levée des restrictions irrationnelles sur les exportations (...) de gaz. » ; ou bien encore que la bonne politique serait « de rendre l'Europe, qui achète 30 % de son gaz à la Russie, plus dépendant de notre gaz à la place. »

•  Blaise Magnin, « Les voies impénétrables de "l’expertise" politique », Acrimed, 16 avril 2014.

• Vladimir Poutine, « Annual Address to the Federal Assembly of the Russian Federation », Archives du Kremlin, 25 avril 2005

• Emmanuel Dreyfus, « En Ukraine, les ultras du nationalisme », Le Monde diplomatique, mars 2014.

2 commentaires:

  1. Tu écris vraiment très bien, le style est bien travaillé, la lecture est agréable mais tes articles tournent un peu en rond et le travail de tes sempiternelles sources biaisent irrévocablement tes billets ce qui te décrédibilise, je trouve. C'est dommage.

    Heureuse continuation à toi.

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  2. Ta critique semble porter sur la neutralité de mes sources. Or il n'existe pas de source neutre, seulement des choix politiques ; un constat qui biaise et décrédibilise ton commentaire, j'en ai peur.

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