vendredi 19 décembre 2014

La leçon de journalisme d'Atlantico.fr et de Benoît Rayski

Le 18 décembre, le site Atlantico.fr publie un article de l'essayiste Benoît Rayski, sobrement intitulé « Attaque à la voiture-bélier contre une école de Corbeil-­Essonnes : les apprentis talibans sont parmi nous ».

Une iconographie tout en nuance

La thèse de l'article, consiste à lier deux événements à priori totalement différents :

  • Les nuits des 5 octobre, 20 octobre et 16 décembre dernier, plusieurs écoles de Corbeil-Essonnes (91) subissent une attaque à la voiture-bélier. L'une des écoles, qui venait d'être inaugurée, a été fortement endommagée. Fort heureusement, ni morts, ni blessés ne sont à déplorer.
  • Le 16 décembre, un groupe de talibans armés attaquent une école de Peshawar dans le nord du Pakistan. Là, selon les estimations actuelles, 141 personnes sont assassinées, dont 132 enfants.

Le lien entre les deux affaires ne vous semble-t-il pas évident ? A moi non plus.

« Aucun rapport ? Pas sûr »

Pour Benoît Rayski, cependant, le rapport entre la tuerie pakistanaise et les voitures brûlées de Corbeil-Essonnes est évident : c'est l'islam !

vendredi 24 octobre 2014

Sur les forums en ligne : bataille pour et par la jeunesse politisée

En juillet 2014, l'association des Amis du Monde diplomatique organisait un concours d'articles pour les étudiants, dont le gagnant devait être publié dans l'édition de novembre 2014 du journal. L'article gagnant est « La prison hors les murs : l'alternative oubliée » de Sarah Perrussel et Léa Ducré, à qui je transmets toutes mes félicitations. Voici, ci-dessous, ma contribution à ce concours. Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont pris la peine de répondre à mes questions (ils se reconnaîtront), sans qui rien n'aurait été possible.

Parmi ses critiques du documentaire Les Nouveaux Chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, l’éditorialiste Franz-Olivier Giesbert a, contre toute attente, soulevé un point intéressant : « Il y a quand même une réalité numérique complètement dingue, il y a des trucs qui existent qui sont extrêmement puissants. Par exemple du côté d’Alain Soral, on n’aime pas en parler, évidemment, parce que ça nous gêne tous, mais c’est énorme et ça ne se voit pas. (…) Les sensibilités différentes, on les retrouve sur Internet. (…) Quelqu’un de critique, avec rien, peut s’exprimer, peut se développer, peut avoir un impact considérable. (…) On fait comme si on était dans les années 1960 ou 1950, avec des grands journaux qui décident du haut de leur magistère. Ces grands journaux ils ont tous d’énormes problèmes, ils sont en difficulté (1). »

Le classement des sites Internet français produit par Alexa.com (2) réserve en effet quelques surprises. On y voit notamment le site Egalité et Réconciliation d’Alain Soral (207e) dépasser de plus de quarante places celui de La Tribune (250e) ou de Mediapart (259e). Déjà fort médiatisé (3) , cet exemple est cependant battu à plate couture par une autre forme bien plus discrète de politisation en ligne : les forums de discussion.

C’est à la 23e place, soit quelques places seulement derrière les meneurs de l’information française en ligne que sont Le Monde (14e), L’Équipe (15e) et Le Figaro (16e), qu’on trouve le plus populaire des sites de forums de discussion francophones : Jeuxvideo.com.

« Un nid de guêpes »

Pour M. Gwendal Lerat, gestionnaire de communauté pour le site, « les forums sont une source de trafic majeure pour Jeuxvideo.com, puisque c'est actuellement la rubrique la plus consultée. » Si les espaces de discussions générales ou touchant au jeu vidéo y sont fondamentaux, « on parle tout de même de plusieurs milliers de messages par jour, sur la grosse dizaine de forums qui traitent de sujets sérieux, le plus populaire étant le forum Actualités. »

Ce succès n’a pas échappé aux partis politiques. « Je fais beaucoup de propagande politique car j'ai très vite compris le potentiel immense d'Internet pour faire passer nos idées à moindre frais, confie un usager régulier du forum, encarté au Front national (FN), les forums bla-bla sont considérés comme les plus actifs de France avec une population jeune, l'endroit idéal pour tracter virtuellement. » En mars 2014, le magazine GQ relevait les propos de David Rachline, chargé de la campagne du FN sur Internet : « On a une équipe de vingt bénévoles qui participent activement aux discussions politiques sur les forums comme Jeuxvideo.com ou le Figaro.fr. Ils ne sont pas directement sous notre autorité mais portent notre parole ».

jeudi 16 octobre 2014

Faux débat américain sur l'immigration

Dans le numéro de septembre de la revue Extra! de l'association Fairness and Accuracy in Reporting, on apprend qu'un débat houleux oppose les Démocrates et les Républicains américains sur l'augmentation massive d'arrivées illégales (via le Mexique) d'enfants immigrés d'Amérique centrale.

Pour les Républicains, ces masses d'enfants sont attirées par les récentes modifications de la législation du gouvernement fédéral Démocrate, jugées « laxistes », qui permettent à ces mineurs de ne pas être renvoyés dans leur pays. Pour Laura Carlsen, du Americas Program of the Center of International Policy, l'argument est pourtant plus que douteux :
Le Haut Commissaire pour les réfugiés a publié un rapport comprenant 400 interviews, et nous avons pris contact avec les camps de réfugiés ici au Mexique, qui sont pour la plupart gérés par l'Eglise catholique. Parmi les centaines de personnes qui arrivent ici chaque jour, presque personne n'a perçu de changement dans la politique migratoire des Etats-Unis.
Pour expliquer le phénomène, les Démocrates, et particulièrement la Maison-Blanche, évoquent au contraire la violence et la pauvreté dans les pays d'origine des migrants. Une explication plus cohérente, mais qui fait l'impasse sur un élément important :
Parmi les éléments que presque tous les réfugiés citent, on retrouve les conditions de vie absolument insupportables dans leur pays d'origine. Quelques médias en ont parlé, mais ce qu'aucun n'a évoqué, c'est en quoi les politiques américaines ont contribué aux conditions de vie presque impossibles au Honduras, tout particulièrement, mais aussi au Guatemala et au Salvador. (...)

lundi 22 septembre 2014

L'Egypte entre de bonnes mains

Le 20 septembre, l'agence de presse Reuteurs annonce la livraison par les Etats-Unis de dix hélicoptères Apache au gouvernement égyptien, afin de l'aider « dans sa lutte contre le terrorisme ». Cette nouvelle officialise le retour de l'Egypte dans les bonnes grâces de l'appareil diplomatique américain. Afin de bien comprendre les implications d'une telle information, un retour en arrière s'impose.

Du « Printemps arabe »...

En février 2011, à l'apogée égyptien des révoltes qui parcourent le monde arabe, le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis près de 30 ans, est lâché par l'armée. Cette dernière comprend que la situation n'est pas tenable, et qu'elle doit faire des concessions. Un gouvernement de transition est mis en place avant que des élections soient organisées. Ces élections sont gagnées par Mohamed Morsi, représentant des islamistes modérés des Frères musulmans, courant politique majeur en Egypte et qui bénéficie d'une aura de résistance face au pouvoir de Moubarak.

En juin 2013, le président Mohamed Morsi, premier président élu démocratiquement de toute l'histoire de l'Egypte, fait face à de gigantesques manifestations populaires. Une partie importante du peuple égyptien dénonce son incompétence sur le plan économique, et sa volonté supposée de « frériser » l'appareil d'Etat égyptien.

Si cette première accusation se tient, la seconde relève de la fiction, tant « l'Etat profond » égyptien reste tenu d'une main de fer par l'armée. Cette dernière, contrôlant encore de larges pans de l'économie égyptienne, a discrètement contribué à la multiplication des pénuries et des carences sécuritaires ; contribuant insidieusement à la dégradation de la légitimité de l'action du président Morsi.

jeudi 28 août 2014

Débat sur le GMT : imprécisions, mauvaise foi et mensonges de ses défenseurs

En juin dernier, j'ai pu assister à un débat organisé à Paris par la Direction de l'information légale et administrative (DILA) et le site Touteleurope.eu sur le thème « Traité de libre-échange transatlantique, menace ou opportunité pour l’Union européenne ? ». Passons volontairement sur la réduction des enjeux à une possible lutte entre les Etats-Unis et l'Union européenne (UE) ; ainsi que sur l'assimilation discutable de l'intérêt des peuples européens et celui de l'UE. Le débat opposait l'eurodéputée Europe Ecologie Les Verts Karima Delli (opposée au traité), le chercheur passé par la Banque mondiale et professeur à Science Po Patrick Messerlin (pour le traité), et le fonctionnaire de la « Directorate General for Trade » de la Commission européenne - et ex-collaborateur de Pascal Lamy - Edouard Bourcieu (pour le traité) ; le tout sous la modération de Maxime Vaudano, journaliste au Monde.

Etant venu seul et en avance, j'ai eu tout le loisir d'écouter les conversations de la population de quarantenaires masculins, blancs, en costume et les cheveux courts ; manifestement tous pour ce projet de Grand marché transatlantique (GMT). Si ces observations relèvent de l'anecdote, les ricanements systématiques accompagnant chaque prise de parole de Karima Delli n'ont clairement pas élevé le niveau du débat. J'ai tout de même pu relever quelques perles en provenance des deux pro-GMT du débat. Entre imprécision, mauvaise foi et mensonges éhontés, je vous présente Patrick Messerlin et Edouard Bourcieu dans toute leur gloire :


Patrick Messerlin

« Toute idée de faire du TTIP une sorte d'OTAN économique d'abord contre la Chine, maintenant contre la Russie, c'est catastrophique. Les affaires commerciales ne sont pas les affaires géostratégiques, il faut vraiment faire la différence. (...) Nous ne devons pas suivre la partie des Américains qui transforment le TTIP en un traité stratégique. »

Raté ! La partie des Américains visée par Patrick Messerlin est loin d'être la seule à voir dans le TTIP (ou GMT) un traité des plus stratégiques. C'est d'ailleurs exactement le sujet de la carte publiée dans un article précédent, dont sont extraites les citations suivantes :

« On voit monter ces émergents qui constituent un danger pour la civilisation européenne. Et nous, notre seule réponse serait de nous diviser ? C’est une folie. »
- François Fillon, RTL, 14 mai 2014.

vendredi 18 juillet 2014

Bombardements à Gaza, festival d'hypocrisie en France et aux Etats-Unis

Réagissant au communiqué de François Hollande faisant savoir qu'il « appartenait au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population », un « vieux routier du Quai d'Orsay » fait part de son incompréhension à Claude Angeli, du Canard enchaîné : « personne n'ignore les fortes sympathies du Président et de Manuel Valls à l'égard d'Israël. Mais de là à accorder un chèque en blanc à Netanyahou et à engager ainsi la France, il y a tout de même une marge. »

L'appareil diplomatique français semble lui-même « colonisé » par d'influents pro-israéliens, à l'image de Jacques Audibert (patron de la cellule diplomatique de l'Elysée), Emmanuel Bonne (conseiller pour l'Afrique du nord et le Moyen-Orient) et Gérard Araud (ambassadeur à Washington et ex-représentant de la France à l'Organisation des Nations unies). « Ni de droite ni de gauche, admiratifs des Etats-Unis, partisans des interventions militaires et de l’OTAN, obsédés par la "guerre contre le terrorisme" et contre l’islam, grands admirateurs d’Israël, ils s’incrustent au cœur de l’appareil d’Etat et garantissent la continuité de la diplomatie française, quel que soit le parti au pouvoir », observe Alain Gresh.

On peut aussi évoquer le cas du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, VRP va-t-en-guerre d'Israël. Si bien qu'un « vieux socialiste » en conclut ironiquement que « l'entourage élyséen de François Hollande n'a rien fait pour calmer ses emballements pro-Netanyahou, bien au contraire ». Le directeur du renseignement à la DGSE François Sénémaud a même récemment dû demander à ses troupes d'éviter de rédiger des notes susceptibles de contredire les analyses de la cellule diplomatique de François Hollande ; ce qui montre bien l'aveuglement idéologique qui règne en haut lieu, et promet de belles bourdes à l'avenir.

mercredi 16 juillet 2014

De la démocratie à l'oligarchie

Le numéro de juillet/août d'Extra! de Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) rapporte les conclusions injustement méconnues d'une étude sur le système politique américain :
D'après une étude universitaire publiée dans Perspectives on Politics (automne 2014), la démocratie américaine est dans un état encore plus lamentable que ce que vous croyez. 
Sortie en avril et réalisée par Martin Gilens (Princeton) et Benjamin I. Page (Northwestern), cette étude analyse plus de 1700 lois votées durant les vingt dernières années, afin de déterminer comment l'opinion publique se traduit en terme de politique publique. Les deux politologues ont conclu que lorsque l'opinion de l'élite économique n'est pas la même que celle de la majorité de la population, l'opinion de cette dernière n'a « aucun impact estimé pour un changement de politique publique, tandis que les élites économiques ont un impact déterminant. »
En d'autres termes, les chercheurs n'ont pas trouvé la moindre preuve que l'opinion de la majorité de la population ait le moindre impact sur les politiques publiques - tandis que celle des riches est des plus évidentes. C'est ce qui s'appelle une oligarchie : la loi du plus riche. 
La question qu'il faut maintenant se poser est la suivante : cette situation est-elle foncièrement différente en France ?

Un exemple permet d'envisager la réponse :

En 2005, l'élite économique, politique et médiatique fait feu de tout bois pour soutenir le projet d'un Traité constitutionnel européen (TCE) instituant le libéralisme économique comme principe constitutionnel. Malgré l'intense propagande, ce projet est rejeté par référendum. 

On aurait pu croire le projet anéanti, mais c'était sans compter sur la formidable opiniâtreté de nos élites.

vendredi 11 juillet 2014

GMT, TPP... vers un « Occident » américain contre les pays émergents ? [mise à jour/corrections]

Pour zoomer à votre aise, clique droit et enregistrer l'image sous.
Jérémie Fabre
Sources utilisées :

• « Dossier : Grand marché transatlantique », Le Monde diplomatique, juin 2014.

• Steve Rendall, « TPP—‘The Largest Corporate Power Grab You’ve Never Heard Of’ », Extra!, mars 2014.

• « Bases de l’US Navy dans le monde », DSI, hors série n°33, décembre 2013 - janvier 2014.

• Tanguy Struye de Swielande, « Réaffirmation de la présence américaine en Asie-Pacifique », op. cit.

• « Les États-Unis dans le monde », Diplomatie n°68, mai-juin 2014.

• Elsa Tulmets, « La Politique européenne de voisinage à la recherche d'un nouveau souffle », Questions internationales, n°66, mars-avril 2014.

Pour compléter : le Dossier complet du Monde diplomatique sur le sujet, avec des articles disponibles en intégralité, les archives du journal, des extraits radio, des précédents qui donnent de l'espoir et l'agenda pour prendre part à la lutte.

lundi 16 juin 2014

GMT, TPP... : vers un « Occident » américain contre les pays émergents ?

Carte réalisée par Jérémie Fabre, sous Adobe Illustrator, juin 2014.
Pour zoomer à votre aise, clique droit et enregistrer l'image sous.
Jérémie Fabre
Sources utilisées :

• « Dossier : Grand marché transatlantique », Le Monde diplomatique, juin 2014.

• Steve Rendall, « TPP—‘The Largest Corporate Power Grab You’ve Never Heard Of’ », Extra!, mars 2014.

• « Bases de l’US Navy dans le monde », DSI, hors série n°33, décembre 2013 - janvier 2014.

• Tanguy Struye de Swielande, « Réaffirmation de la présence américaine en Asie-Pacifique », op. cit.

• « Les États-Unis dans le monde », Diplomatie n°68, mai-juin 2014.

• Elsa Tulmets, « La Politique européenne de voisinage à la recherche d'un nouveau souffle », Questions internationales, n°66, mars-avril 2014.

Pour compléter : le Dossier complet du Monde diplomatique sur le sujet, avec des articles disponibles en intégralité, les archives du journal, des extraits radio, des précédents qui donnent de l'espoir et l'agenda pour prendre part à la lutte.

jeudi 15 mai 2014

Poutine, ennemi n°1 aux Etats-Unis

Cet article consiste principalement en une reprise d'un article publié sous le titre « ‘Radioactive’ Putin Is ‘Stalin’s Spawn’ » (par Peter Hart) dans le magazine Extra! de l'organisation Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR), équivalent américain de l'association de critique des médias Acrimed. Je ne saurais trop conseiller la lecture de leur travail, et tout soutien à leur apporter (l'import fonctionne très bien).

Depuis le début de la crise ukrainienne, si la couverture médiatique française des événements s'est révélée loin d'être parfaite, celle des médias américains relève manifestement du gag bien gras. On apprend ainsi sur Fox News (Bill O'Reilly, 3/3/14) que l'annexion de la Crimée par la Fédération de Russie relève d'une « stratégie hitlérienne », tandis que le Washington Post (George Will, 17/3/14) agite un « retour de Staline ».

Sans aller jusqu'à de telles extrémités, l'émission World News (7/3/14) de la chaîne ABC s'est livré à une étrange étude :
Jonathan Karl a décrit une « étude du Pentagone essayant de lire le langage corporel de Poutine », qui apparemment suggérait que « son style de marche peut donner un aperçu de la façon dont il fonctionne. » Cette étude, rapporte Karl, a trouvé que « le style de mouvement de Poutine montre un homme contraint d'avancer tout droit »... Une faiblesse qu'il compense « par un besoin considérable de contrôle extérieur, qu'il cherche par un affichage de puissance. »
Un diagnostic qui rappelle fortement certaines expériences tout aussi distrayantes en France.

L'article d'Extra! pointe cinq dysfonctionnements majeurs dans la couverture médiatique américaine de la crise ukrainienne.

lundi 12 mai 2014

Courrier international réforme la France

Dans son numéro n° 1227 du 7 au 14 mai 2014, Courrier international nous propose un dossier sobrement intitulé « Valls attaque !», consacré à la politique du nouveau Premier ministre français. Le dossier est composé de neuf articles de grands titres de presse européens et américains. 

Morceaux choisis :

« Une myopie très française », Lorenzo B. de Quirós, El Mundo, Madrid

« La France, conservatrice dans l’âme, est abonnée à l’immobilisme.Manuel Valls doit la faire entrer dans l’ère de la mondialisation. »

« Le mal français tire son origine du consensus social-étatiste en vigueur dans l’Hexagone. Un tel consensus a empêché la France de concevoir et d’appliquer un projet global et cohérent de modernisation, et ainsi d’adapter le pays au monde né de la mondialisation et de la fin de la guerre froide. Le discours des socialistes et des conservateurs a fait de l’immobilisme un étendard. Les uns et les autres ont défendu à outrance le statu quo, au nom de l’exception française ou de la politique de grandeur, ces faux talismans en vertu desquels le modèle socio-économique en vigueur serait enfermé dans une bulle de protection, immunisé contre tout ce qui se passe à l’extérieur. Une vision bien singulière de la France éternelle. Cette myopie est devenue une maladie chronique. Derrière sa façade toujours imposante, la France est aujourd’hui le malade de l’Europe. »

« Dans un tel contexte, le remaniement ministériel et la nomination de Manuel Valls n’auront d’utilité que si la France met en place des réformes radicales ou si celles-ci sont imposées par l’UE. »

mardi 6 mai 2014

« L'opinion, ça se travaille » aussi en Ukraine

Le 2 mai, à Odessa en Ukraine, des manifestants russophones cernés par des partisans du régime de Kiev se sont réfugiés dans la maison des syndicats. Cette dernière est alors barricadée et incendiée. Une quarantaine de morts sont à déplorer, tués par l'incendie, mais aussi, selon certaines sources, sauvagement achevés à terre après avoir sauté depuis les étages du bâtiment en flammes.

Que ce serait-il passé, si ces exactions monstrueuses avaient été commises par des partisans russophones de l'ancien régime ukrainien ?

Jack Dion, pour Marianne, y répond :
L’émotion aurait été à son comble dans les capitales occidentales. Les gouvernements auraient crié au meurtre de masse commis par des sbires de Ianoukovitch. Ils y auraient vu la preuve manifeste de mœurs barbares dans une ville si près de l’Union européenne, à quelques heures de vol de Paris. Des intellectuels de renom auraient aussitôt pris l’avion pour Kiev afin de crier leur solidarité. BHL aurait déjà choisi sa chemise blanche spécial média. Des pétitions circuleraient. L’Europe condamnerait. Laurent Fabius invoquerait les valeurs universelles bafouées.

Et là ? Rien, ou presque. Pas de protestations, pas de dénonciations, pas d’admonestations, si ce n’est à l’égard de… Moscou.
Cet article met parfaitement en évidence l'ethnocentrisme et la partialité des médias français dans le conflit ukrainien.

samedi 26 avril 2014

« Mais où s'arrêtera Poutine ? »

Cette question hante les médias français, Libération et Direct Matin n'étant que les exemples les plus caricaturaux. Cette obsession antirusse, telle qu'analysée par Olivier Zajec dans Le Monde diplomatique d'avril, est aisément critiquable. Il suffit pour cela de prendre un minimum de recul historique et géographique.

L'« erreur fatale » de l'OTAN

Lorsque l’URSS s’effondra en 1991, le Pacte de Varsovie (qui liait militairement ses Etats membres), fut dissout. L'existence de ce Pacte et le contexte de Guerre froide étant la raison d'être de l'OTAN, il aurait fait sens qu'elle soit elle aussi dissoute. 
Cette position russe est connue et bien comprise à Washington quand bien même elle n’entraîne pas d’assouplissement de la position des Etats-Unis. Elle est d’autant mieux comprise qu’en 1990, James Baker avait affirmé à Gorbatchev que l’OTAN ne s’étendrait pas. Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères a, à plusieurs reprises, confirmé l’existence de cette promesse, une promesse non tenue. George Kennan, le père de la doctrine du containment de 1947 s’est souvent et longuement exprimé sur la question de la relation de l’OTAN avec la Russie pour conseiller instamment de ne pas étendre l’OTAN, de ne pas exclure la Russie du nouvel ordre euro-atlantique post - Guerre froide. Cinquante ans après l’énoncé du containment, George Kennan prend la plume et écrit pour le New York Times du 5 février 1997 que l’élargissement de l’OTAN est une erreur fatale. Pourquoi ? Parce que « cette extension ne manquera pas d’enflammer les tendances nationalistes et anti-occidentales et militaristes au sein de l’opinion russe ; qu’elle contrariera le développement de la démocratie en Russie ; qu’elle restaurera l’atmosphère de Guerre froide dans les relations Est-Ouest ; qu’elle poussera la politique étrangère russe dans des directions qu’à coup sûr nous n’apprécions pas… » expose Kennan.
Ces propos, relevés par Catherine Durandin pour diploweb.com, semblent largement prophétiques dans le contexte ukrainien actuel.

lundi 21 avril 2014

La place du Brésil dans le monde


Voici un devoir (cartes + commentaire) que j'ai réalisé dans le cadre d'un cours sur les pays émergents au semestre dernier. Je me permets d'en publier une version légèrement remaniée ici en raison du caractère géopolitique du sujet - La place du Brésil dans le monde - et de la note obtenue (20/20).

Carte 1 : planisphère

Carte 2 : zoom sur l'Amérique du sud
Légende

Commentaire

Gigante pela própria natureza, [Géant par ta propre nature,]
És belo, és forte, impávido colosso, [Tu es beau, tu es fort, intrépide colosse,]
E o teu futuro espelha essa grandeza  [Et ton avenir reflète cette grandeur]
- Hino Nacional Brasileiro – Hymne national du Brésil –  Joaquim Osório Duque Estrada, 1909

Avec ses 200 millions d’habitants et sa superficie de plus de 8 500 000 km², le Brésil, dont la capitale fédérale est Brasilia, est le pays le plus vaste et le plus peuplé du continent sud-américain ; partageant une frontière avec l’Uruguay, l’Argentine, le Paraguay au sud, la Bolivie, le Pérou, la Colombie à l’ouest, ainsi que le Venezuela, le Guyana, le Suriname et la Guyane française au nord. Le Brésil fait partie depuis 2001 du groupe des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine ; auxquels on rajoute depuis quelques années l’Afrique du sud), un terme employé pour la première fois dans une note de Jim O'Neill, économiste de la banque d'investissement Goldman Sachs, désignant «des pays à forte croissance, dont, au début du XXIe siècle, le poids dans l’économie mondiale augmente ». Le Brésil ferait donc partie du groupe des pays dits « émergents », dont le poids économique (mesuré par le PIB par habitant et la croissance économique) se situerait entre les pays « peu développés » du sud, et les « pays développés » du nord. Dans quelle mesure ce nouveau statut du Brésil modifie-t-il durablement sa politique étrangère ? Nous verrons dans un premier temps comment l’ « intrépide colosse » est passé de l’essor économique à la « fin de l’émergence » ; puis que cette nouvelle donne économique a donné lieu à un activisme diplomatique accru, enfin nous analyserons l’opposition réelle opérée par le Brésil vis-à-vis de l’influence (ou « impérialisme ») des Etats-Unis et du nord en général.

mardi 8 avril 2014

L'Iran, l'atlantisme, et « les miettes »

En octobre 2013, Le Figaro s'émut que les entreprises françaises soient les grandes perdantes de la course au marché iranien face aux entreprises américaines. Une information confirmée depuis par Le Canard enchaîné.

En effet, en prévision de l'assouplissement des sanctions économiques internationales sur le nucléaire iranien, l'Iran apparaît comme un marché émergent de 80 millions d'individus. Un marché que les groupes automobiles français PSA et Renault dominaient... jusqu'en 2011 et le début de l'embargo. Son assouplissement, couplé à l'Executive Order Act 13645 signé le 3 juin par le président Barack Obama (qui vise indirectement les entreprises françaises) ouvre un boulevard aux entreprises américaines telles que General Motors.
«Nous avons pourtant joué le jeu des sanctions américaines contre l'Iran ces dernières années», [se plaint] un diplomate au Quai d'Orsay. Paris est même allé parfois au-delà des exigences de Washington, comme le souligna un télégramme diplomatique de l'ambassade des États-Unis à Paris révélé par WikiLeaks et intitulé «La France à la pointe du glaive» contre l'Iran.
(Je passe sur la légère contradiction du quotidien de Dassault dans son utilisation d'informations volées de WikiLeaks après s'être insurgé de la publication d'informations volées sur les turpitudes de son propriétaire).

lundi 31 mars 2014

Valls creuse sa tombe à Matignon, sous les applaudissements

La nouvelle vient de tomber : Manuel Valls, ministre de l'Intérieur socialiste, est nommé Premier ministre par François Hollande. Quels enseignements peut-on en tirer, à chaud ?

Le moins que l'on puisse dire, c'est cette promotion du camarade Valls était attendu par l'immense majorité de la presse française, comme le montre cette analyse détaillée de Thibault Roques pour Acrimed. Entre interprétation à sens unique de sondages à double tranchant et surexposition médiatique (aussi bien quantitativement que qualitativement), rien d'étonnant à voir apparaître le phénomène bien connu de la prédiction auto-réalisatrice.

Plus dure sera la chute

Il est de notoriété publique (du moins pour les lecteurs réguliers du Canard enchaîné) que la relation entre François Hollande et Manuel Valls est tendue. Le président de la République reproche en effet à ce dernier son individualisme et son omniprésence médiatique, qui perturbent fortement sa stratégie de communication (qui n'a pourtant pas besoin de cela...) A cela s'ajoute ses manœuvres pour déstabiliser Jean-Marc Ayrault, Premier ministre et ami personnel de longue date du président.

Avec la dégelée municipale du 23 et du 30 mars pour le Parti socialiste (PS), et une contestation qui atteint des niveaux impressionnants, François Hollande était obligé de remanier et de changer de Premier ministre. En passant, cette haute main présidentielle sur le destin des Premier ministres successifs, si elle est totalement inconstitutionnelle, est historiquement la norme.

Après avoir manifestement proposé le poste à un autre ami de longue date, François Hollande s'est donc résigné à nommer Manuel Valls.

mercredi 26 mars 2014

Acte de naissance

Ceci est le premier d'une longue série d'articles dédiés à la politique, aux médias, et à la géopolitique.

Je me présente. Je suis Jérémie Fabre, étudiant en 3e année de géographie à l'Université de Paris Ouest - Nanterre - La Défense, et j'espère bientôt en master de géopolitique à l'Université de Paris VIII - Vincennes - Saint-Denis. Passionné de géopolitique et relations internationales depuis des années, je lis une quantité importante de presse spécialisée, en essayant de diversifier mes sources (papier et internet). Je reviendrai plus tard sur ces sources.

Je suis aussi fortement politisé, et souhaite lier ma vision critique de la politique à ma passion pour la géopolitique et les médias. Le Monde diplomatique est pour moi l'apogée du journalisme, engagé, sérieux, et sans concession. Il constitue la base de mon engagement politique, et une source d'information précieuse.

Sans doute est-ce le cas de tout le monde, mais je perçois mon orientation politique comme réellement originale. Je me situerai grosso modo dans ce qu'il est commun d'appeler la "gauche de gauche", ou encore "gauche radicale". Je reviendrai plus tard sur l'originalité de mon point de vue politique, en particulier en ce qui concerne "l'extrême droite", les "partis de gouvernement".

Quant au populisme, terme si galvaudé et utilisé à tort que j'en fait ici mon cheval de bataille, j'y reviendrai bien évidemment. Mais en guise d'introduction, quoi de mieux que citer Serge Halimi : « Si vouloir s’adresser à la majorité du peuple devient gage de populisme et donc marque d’infamie , mieux vaut sans doute revenir au suffrage censitaire.  »